Nous avons
vu dans un précédent article le phénomène lié à l’émergence médiatique des
spécialistes médiatiques de l’islam, plus communément appelés les
« islamologues », qui contribuent à la désinformation sur l’Islam et
les musulmans. Nous avons expliqué clairement en quoi le vocable
« d’islamologue » était une insanité. Il convient maintenant de
revenir à l’origine de cela, à la source de cette tare, au père intellectuel de
ce phénomène, l’Orientalisme.
Plus
pointilleux, et plus fins connaisseurs de l’islam que les islamologues de
marché dont on a vu la supercherie dans un précédent article, ils n’en sont pas
moins dangereux, bien au contraire.
L’écrivain
palestinien Edward Saïd, a admirablement décrit ce processus historique et
intellectuel dans son célèbre ouvrage, L’Orientalisme,
l’Orient crée par l’Occident. Ce phénomène a commencé à émerger à partir du
XVIIIème siècle et c’est réellement au XIXème siècle avec la phase de
colonisation de la plupart des pays musulmans qu’il va prendre pleinement son
essor. Cet orientalisme est tout simplement un miroir déformant que l’Occident,
avec ses élites intellectuelles et militaires, ont appliqué sur les pays
musulmans, visant ainsi à justifier son entreprise impérialiste. Ces éminents
professeurs occidentaux, ancêtres des « islamologues » actuels, ont
tracé la route menant à la déformation globale sur l’Islam qui continue de
sévir jusqu’à aujourd’hui. L’Orient, le plus vieux fantasme de l’Occident,
disait-on alors. L’Orient est d’autant plus fantasmé qu’il sert à justifier
impérialisme occidental.
Le terme
même d’Orientalisme, renvoie à la novlangue. Il n’y a que l’Occident qui
considère l’Orient, ainsi que les autres civilisations comme un sujet d’étude,
une curiosité pittoresque. A l’inverse, il n’y a pas d’occidentaliste. De plus, lorsque l'on s'attarde sur la sémantique, on voit que le mot Orient renvoie à la direction où le soleil se lève. Ainsi l’on parle
d’orientation. Occident, terme qui en latin veut dire tomber à terre, choir,
périr, qui veut dire mourir, renvoyant ainsi à la direction dans laquelle le
soleil disparaît, laissant la place à la nuit. C’est donc l’Occident qui
prétend montrer à l’Orient ce qu’il est ? Cet Occident moderne, qui est
une anomalie dans la mesure où il a renoncé à toute transcendance et a
abandonné tout principe supérieur, qui va dire à l’Orient ce qu’il doit
faire ? Occident moderne dont les premières victimes furent les Occidentaux eux-mêmes.
Il y a aussi
un autre point qu’il convient d’aborder, à savoir ce que nous pouvons appeler
l’Orientalisme militant. Ainsi, Bernard Lewis, proche des néoconservateurs
américains auteur du concept du « choc des civilisations » attribué à
tort à Samuel Hunttington, est une des grandes figures de l’Orientalisme. Ce
dernier affirme que l’une des causes du déclin de l’Islam c’est qu’il ne s’intéressait
guère à l’Europe. Dans son livre Comment
l’islam a découvert l’Europe, il explique le déclin de la civilisation arabo-musulmane, en raison du peu d'intérêt que les musulmans montraient envers l'Europe chrétienne. Ces derniers se sentant sûrs d’eux-mêmes et dominateurs sans
doute. La tradition de la Rihla, qui renvoie à la littérature de voyage dans la
civilisation arabo-musulmane dément cette thèse. Des hommes tels que Ibn
Fadlân, Ibn Jubayr, Ibn Battûta, Hassan aI Wazzan, Mohammad Tammim, Rifa’a
al-Tahtawi sont là entre autres pour prouver le contraire. En France Anne-Marie
Delcambre, Alfred-Louis de Prémare, appartiennent à cette tendance là. Ils
n’étudient la civilisation arabo-musulmane que dans un but militant, dans une
perspective de combat.
Il y a le cas
particulier des orientalistes, qui se disent musulmans tels que Malek Chebel,
Abdelwaheb Meddeb, Abdennour Bidar, partisans d’un islam modéré, d’un islam des
Lumières, ou de je ne sais quelle autre billevesée, se réclamant de cette
tradition orientaliste venue d’Occident. C’est dire si chez eux la colonisabilité,
la colonisation mentale, l’aliénation à la pensée occidentale moderne est
palpable.
L’Orient est
un espace géographique qui englobe des pays pourtant à l’ouest. Ainsi le Maroc,
ou la Mauritanie faisant partie de cet Orient alors que ces pays sont plus à
l’ouest que l’Allemagne qui pourtant fait partie de l’Occident.
C’est une
guerre des mots, une guerre intellectuelle, une guerre culturelle, car elle
permet à cet Occident qui dispose de bon nombre de sources, de vestiges
archéologiques appartenant à la civilisation arabo-musulmane, de faire dire ce
qu’elle veut à ses trésors, et d’écrire le récit qui l’arrange sur cette
civilisation. Ainsi, beaucoup d’étudiants, de savants, de chercheurs, qu’ils
aient grandi dans des pays musulmans ou en Europe, sont obligés d’aller faire
leurs études, ou une partie de leurs études chez ce même Occident, dans l’antre
même de l’Orientalisme scientifique et intellectuel. Imaginons l’inverse, que
des étudiants occidentaux, désireux d’étudier une partie de leur histoire,
soient obligés d’aller au Maghreb, au Machrek, en Asie du sud-est, pour pouvoir
enfin accéder à telle ou telle source historique. On aimerait connaître le
ressenti et la réaction qu’aurait un étudiant Anglais, qui serait obligé
d’aller à Mossoul pour aller étudier la Tapisserie de Bayeux, d’un étudiant
Français obligé d’aller à Meknès pour faire sa thèse sur Châteaubriand, ou d’un
Espagnol qui n’aurait d’autre choix que de partir au Caire pour obtenir des
éléments sur la vie de Francisco Goya.
Ces mêmes élites occidentales rétorquent que ce sont eux qui ont fait revivre ces sources, leur ont donné un second souffle, et les ont tiré de l'oubli. Rien n’est plus faux. A de rares exceptions
près, tous ces vestiges, ces pièces historiques furent toutes et tous pillées pendant la
funeste période coloniale.
Les
musulmans, qu’ils soient français ou vivant dans un autre pays d’Occident,
doivent se réapproprier leur propre histoire, et ôter avec force et vigueur,
les lunettes que les programmes scolaires et les médias leur ont donné, pour
mieux ainsi saisir toute la grandeur de la civilisation arabo-musulmane.
Anis Al
Fayda
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