mardi 31 mars 2015

L'union sacrée ça se crée




Nous sommes en l’an de crasse 2015.

Nous avons préféré attendre quelques temps avant d’apporter notre contribution devant cette tornade médiatique sans précédent consécutive aux tragiques attentats du 7 janvier dernier, même si l’odeur fétide de l’hypocrisie plane toujours et vient titiller nos narines.

Talleyrand disait : « Agitez le peuple avant de s’en servir. » Cette phrase convient à la situation. L’espace d’une semaine, et surtout de cette fameuse journée du 11 janvier, Paris est redevenue la capitale du monde libre, le porte-étendard de la lutte pour la tolérance, la liberté d’expression, les Lumières.

Tout le monde se sent républicain, patriote, Français, comme c’est beau. Tout ça dans un mécanisme, une spontanéité que n’aurait pas renié un Gustave le Bon ni un Edward Bernays.

La maréchaussée habituellement l’objet de tant de critiques et de moqueries fait désormais l’unanimité. Aux orties des slogans tels que « CRS SS ! », désormais c’est « J’ai le GIGN dans mes gènes ! », ou bien encore « Le RAID, on est raides dingues de vous ! »

Une fois l’émotion, l’hystérie médiatique et collective, on peut maintenant essayer de prendre de la distance et dégager une analyse. Tordons immédiatement le cou à un mensonge : le défunt Charb n’est pas l’auteur de la phrase fameuse : Mieux vaut mourir debout que de vivre à genoux. En effet, cette phrase est d’Emiliano Zapata (1879-1919), révolutionnaire mexicain. De plus, posons la question à ceux qui s’estiment dépositaires de l’esprit Charlie. Ces derniers prétendent se maintenir debout face à qui ? Face à des musulmans qui sont d’ores et déjà à genoux ? Quel courage !
La patrie est en danger. Du salace, toujours du salace et encore du salace et le peuple sera berné. Ce fut surtout la Nation rassemblée contre ses musulmans. La liberté guidant le peuple version street art très cheap.

Tout le monde se bouscule au portillon des médias pour se répandre en anecdotes savoureuses à raconter sur Charlie Hebdo et son esprit anar à raconter. Parmi lesquelles Jeanette Bougrab compagne de Charb, qui charbonne pour nous faire croire à son idylle intellectuelle, à sa romance mielleuse.
Après la prise d’otages à l’hyper-casher de la porte de Vincennes du 9 janvier dernier, Benjamin Nethanyahou qui ne perd pas l’est, en profite pour encourager Français juifs à quitter la France pour Israël.
Avec un tel plébiscite mondial, la France peut continuer à bombarder l’Irak, voire même les Lieux Saints de l’Islam, nous ne pourrions lui en tenir rigueur, car c’est sans doute le prix à payer pour accéder enfin aux Lumières que nous semblons si rétifs à accepter. On veut forcer les musulmans à adhérer à une certaine vision du sacré, au fond à une fin du sacré.

Nicolas Sarkozy a eu son débat sur identité nationale, Manuel Valls a lui désormais son unité nationale face au terrorisme. François Hollande ersatz de Raymond Poincaré, Manuel Valls pâle copie de René Viviani. C’est l’Union Sacrée contre… contre quoi au juste ? Le terrorisme, c'est-à-dire ceux que l’Occident a soutenu encore tout récemment en Libye et en Syrie et qui sont désormais voués aux gémonies ? C’est complètement ubuesque, Alfred Jarry n’aurait pu y exceller avec autant d’aisance, l’Occident continue de déverser ses jarres d’hypocrisie sur la face du monde musulman.
Incohérence ? Que nenni, c’est la France. Boniments ? Et oui c’est ça l’Occident.

Ces attentats sont certes effroyables, mais nous ne sommes pas Charlie car s’en prendre aux musulmans est tout sauf un acte de courage, les musulmans sont une cible extrêmement facile, n’ont pas de moyens de répondre et ne représentent, ni ne détiennent aucun pouvoir. Faire régulièrement des dessins plus que provocants envers une frange de la population française plutôt pauvre et déjà stigmatisée est tout sauf un acte de bravoure auquel nous ne goûtons pas. Nous n’avons pas à montrer, à prouver que l’on est contre la violence aveugle, car les musulmans sont les premières et principales victimes du terrorisme, en Irak, Syrie, Algérie, Lybie, Afghanistan.

Les musulmans mieux que quiconque savent ce que la mort brutale, barbare et aveugle signifie. Nous n’avons pas à condamner quelque chose dont nous ne sommes pas responsables, personne ne souhaite la mort d’autrui quand bien même ce journal n’était certes pas porté dans le cœur des musulmans. Le fait de se poser la question si des musulmans condamnent ou non ces actes est en soi un soupçon insupportable.

L’hystérie contre les musulmans mis à l’index a atteint des sommets, ces derniers sont sommés encore et toujours montrer la pa-patte blanche. Nous disons au scribouillard Yann Moixde bien vouloir garder son paternalisme pour lui et d’aller jubiler tout seul vers son ciel si ça l’amuse, car nous avons d’autres chats à fouetter. Au moment de l’attaque par la marine israélienne contre la flotille turque en 2010 qui tentait de rompre le blocus de Gaza, il était monté fortement au créneau pour défendre la position israélienne. On pourrait lui retourner l’injonction et l’exhorter à se désolidariser de la violence israélienne.

On assiste donc bel et bien au choc de deux cultures, de deux conceptions de l’humour, de la vie. Les musulmans en tout cas, quelle que soit leur sensibilité ne sauraient se résoudre à rire sur commande.

L’apothéose fut atteinte avec le tirage record pour Charlie Hebdo. Va-t-on vérifier dans chaque maison de France et de Navarre si chacun a son exemplaire de Charlie Hebdo ? Faut-il même le lire aux toilettes pour être bien Français ? Ira-t-on en prison si ce devoir de citoyen consciencieux n’est pas accompli ?

L’Occident aime à taper sur islam, bête sauvage sur laquelle il est de bon ton de s’acharner en plantant ses crocs démocrates dans la chair ensanglantée, telle une bête du Gévaudan médiatique, une bête aux griffes limés et enchaînée toutefois, car c’est plus facile. Mais oui les musulmans ont le droit à ce qu’on leur fiche la paix, de ne toujours pas apprécier Charlie Hebdo, et à être persan, pas d’apparence mais au moins d’esprit au pays de Montesquieu.

Il ne faut certes pas sous-estimer le besoin d’unité dans une société éclatée, atomisée où sous couvert de la défense des droits individuels, c’est la cohésion nationale qui en pâtit. Un tel dessein doit pouvoir reposer sur des réflexions s’inscrivant dans le long-terme et non basé sur une fièvre collective et momentanée aux contours politiques douteux. Que restera-t-il de cette éruption sentimentale et émotive à laquelle nous as habituée cette société du spectacle ? Rien. Si ce n’est toujours plus d’incompréhension et de navigation en eaux troubles et glacées…jusqu’à ce qu’un iceberg ne se décide à montrer son museau gelé.

On se sert de l’émotion pour créer un consensus politique et idéologique qui s’est déjà fissuré depuis.
Le comble est que l’on assiste déjà chez l’équipe de Charlie Hebdo, à du rififi autour du magot abject fait sur les cadavres. Ah c’est beau l’esprit Charlie. C’était juste de l’esbroufe ? Assurément.
Au passage, votre humble serviteur fuyait dimanche 11 janvier son devoir républicain, et plutôt que d’aller user ses guêtres de démocrate, de battre le pavé de la tolérance, il préféra entamer la lecture de Michel Strogoff de Jules Verne, dont le périple long, objet de mille et un dangers doit servir d’inspiration pour la future vie des Français musulmans, plus généralement en Occident qui sera soumise à de terribles pressions.

Un enfant de 8 ans à Nice fut convoqué au commissariat pour apologie du terrorisme. Où sont nos bonnes âmes de gauche, qui sacralisent l’enfant ? Que ne disent-elles mot contre un tel excès, un tel délire, une telle infamie ? La paranoïa sécuritaire déréglerait-elle la boussole de la gauche ? Oui, visiblement.

La répression sur Internet pointe son museau à l’horizon toujours dans le but de lutter contre « la haine », sans trop définir ce que c’est.

Parmi les annonces tonitruantes, les autorités françaises veulent créer une nouvelle instance pour représenter les musulmans, après avoir constaté que le fantoche CFCM n’était pas du tout représentatif. C’est ce qui s’appelle avoir les yeux en face des trous. Il faut libérer les musulmans de toute tutelle étrangère, mais cela passe par ne plus faire venir des imams de l’étranger, pratique qui semble avoir encore de beaux jours devant elle. Par contre, qui va libérer cette instance de la tutelle de l’État ? N’est-ce pas là une atteinte à la laïcité ? Ne sont-ce pas là les autorités françaises qui mélangent allègrement le religieux et le politique ?

Les autres partis de l’opposition montent au créneau, notamment l’UMP et le FN qui cherchent à accroître la pression laïcarde, comme si celle-ci n’était pas déjà assez forte.
En tout cas, il a suffi d’un clip des Enfoirés pour faire voler en éclats cette unité. Ils ne pouvaient pas faire une chanson sur les islamistes comme tout le monde ? Ah les enfoirés !

L’attentat au musée du Bardo de Tunis a lui révélé le paternalisme insupportable de certains qui exhortent les Français à aller passer leurs vacances là-bas pour soutenir l’économie tunisienne, car c’est bien connu les pays arabes ont besoin de la commisération occidentale en manque d’exotisme pour survivre c’est bien connu. Cela montre que comme beaucoup d’autres pays arabes misant trop sur le secteur touristique très dépendant de la demande occidentale, la Tunisie ne peut laisser son économie reposer sur ce secteur.

Pendant ce temps, les armées occidentales continuent de bombarder l’Irak pour tenter de mettre fin au chaos qu’elles ont-elles-mêmes instauré. L’atmosphère devient de plus en plus pénible et tendue en France. On serait tenté d’imiter Franck Ribéry qui est en passe de demander la nationalité allemande.
Nous le proclamons dans la langue de Goethe : Ich bin nicht Charlie !

Et si Nathalie Saint-Cricq souhaite nous repérer et nous traiter comme de vulgaires cas psychiatriques, alors en m’inspirant du capitaine Haddock, qu’elle vienne un peu pour voir et je lui dirai volontiers ma façon de penser : que le Grand Cric me croque si jamais je baisse mon froc !


Anis Al Fayda